2011 sera une année de plus à ajouter aux quarante autres précédentes qui ont vu le conflit en Mer de Chine Méridionale faire la une des journaux. Ce conflit n’est pas prêt de s’arrêter et devrait même s’intensifier en terme militaire, politique et économique dans les années à venir.
La tournée du président Barack Obama en Asie du Sud-Est en novembre dernier a montré que la Chine est au cœur des préoccupations de Washington. Mais au delà d’un intérêt pour la Chine, c’est un intérêt pour la Mer de Chine Méridionale qu’ont les Etats-Unis. En effet Pékin devient de plus en plus agressif vis-à-vis de la marine américaine présente en Mer de Chine Méridionale en utilisant la Convention sur le droit de la mer pour justifier son action et exclure les vaisseaux de la marine américaine. On pourrait alors se demander dans quelles perspectives ce conflit prend-t-il une dimension internationale ?
La Mer de Chine Méridionale : un objet de revendications de souveraineté par les pays limitrophes
La mer de Chine dénombre plus de 230 îles, dont les plus grands archipels sont les îles Spratleys et les îles Paracels. Ces deux archipels sont les deux territoires principaux revendiqués. Depuis les années 70, la Chine, Taïwan, les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et Brunei se disputent la propriété des îles de la Mer de Chine Méridionale. C’est en effet à cette époque que les premiers gisements importants de pétrole ont été découverts et que les premières guerres entre la Chine et le Sud-Vietnam ont eu lieu. Au fur est à mesure, la Chine a avancé sur des territoires qui appartenaient officiellement à ses voisins, comme les Philippines, avancée très souvent militarisée.
La possession et le contrôle de ces zones représentent plusieurs enjeux comme :
– l’acquisition de domaines de pêche pour les deux archipels
– l’exploitation de gisements de gaz naturel et de pétrole pour les îles Spratleys
– la maîtrise d’une position stratégique
La Mer de Chine Méridionale réunit ainsi toutes les qualités qui permettront de faire face aux enjeux de demain. C’est une réserve de nourriture, un Eldorado énergétique sous-marin et également un lieu stratégique permettant de contrôler le commerce et la circulation maritime de l’Asie du Sud-Est. Actuellement, plus de la moitié du tonnage de pétrole transporté par mer y transite, chiffre en constante augmentation avec la croissance de la consommation chinoise de pétrole. Ce trafic est ainsi trois fois plus important que celui passant par le canal de Suez et cinq fois plus important que celui du canal de Panama.
Une vision historique qui ne résout pas la question : à quelle nation appartiennent ces îles ?
Chaque pays revendique ses propres intérêts. La Chine a une vision particulière de la propriété territoriale. Le partage des eaux devrait être historique et non pas territorial. Cependant, même en faisant appel aux faits historiques, on remarque qu’il est difficile de donner raison aux Chinois.
Par exemple, le Vietnam depuis le XVe siècle défend 2000 km de côtes et contrôle des eaux territoriales. Sa vocation maritime l’a alors poussé à découvrir des terres plus lointaines comme les archipels de Troung-Sa et Hoang-Sa, c’est-à-dire les actuels Spratleys et Paracels. Des documents de l’Institut de recherches historiques de Saïgon ont montré que l’archipel de Paracels était sous le règne de l’Empereur vietnamien au XVIIIe siècle. Mais la Chine affirme que des textes vieux de plus de 2000 ans évoquent ces archipels comme Chinois, et que des pièces de monnaie, des poteries y ont été découvertes. Finalement, il s’agit là d’un conflit sans fin étant donné qu’il nous sera probablement impossible de savoir qui le premier a posé les pieds sur ces îles. La Chine le sait bien.
Ce manque de coopération et de bonne foi crée des situations insensées et rend le conflit très complexe. Par exemple, le 26 mai 2011, le bateau vietnamien Binh Minh 02 mène des études sismiques au large du Cap Dai Lanh. Il y détecte trois navires chinois. Ces patrouilleurs chinois entrent dans la zone d’étude et sectionnent les câbles tendus par le navire vietnamien. Les deux parties affirment être dans leurs propres eaux territoriales. Le premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung a alors réaffirmé “l’incontestable souveraineté” de son pays sur ces îles quand la Chine déclare que celles-ci lui reviennent de droit.
Autre exemple, chaque pays va donner son propre nom aux îles, ou à la Mer. Par exemple, les Philippines en juin 2011 décidèrent de rebaptiser la Mer de Chine Méridionale, “Mer des Philippines de l’Ouest”. Aucun pays ne veut écouter l’avis du voisin et la situation est totalement bloquée à l’heure actuelle.
La stratégie chinoise
La Chine investit beaucoup dans le militaire. “Les couloirs maritimes dans la zone Indo-pacifique sont de plus en plus encombrés, contestés et exposés à des querelles armées”, écrit l’Institut Lowy dans un rapport.
Le gouvernement Chinois en est venu très facilement aux armes à plusieurs reprises durant ce conflit. Il est sorti presque toujours victorieux des batailles militaires.
Le budget de l’Armée Populaire de Libération a été multiplié par quatre de 2004 à 2008 (selon l’article L’Etat actuel de la puissance militaire chinoise, du site Perspectives Monde de l’Université de Sherbrooke). En 2008, selon l’Institut international de recherche pour la paix à Stockholm, la Chine occuperait la quatrième place mondiale en ce qui concerne les dépenses militaires. Les chiffres officiels délivrés par Pékin sont inférieurs aux chiffres réels pour beaucoup d’experts occidentaux. L’ex-secrétaire à la défense américain Donald Rumsfeld a déclaré: “les dépenses militaires chinoises sont bien plus élevées que ne le reconnaissent les autorités chinoises”.
On a alors vu apparaître cette année en janvier le premier vol expérimental du chasseur furtif J-20 (largement inspiré des avions militaires achetés à la Russie) ou le porte avion Shi Lang, racheté à l’Ukraine.
Donald Rumsfeld a également déclaré: “Comme personne ne menace la Chine, on ne peut que s’interroger : pourquoi ces investissements massifs?”
On peut également noter que Shi Lang, le nom donné au porte avion est en fait le nom de l’amiral mandchou qui en 1681 avait envahi le royaume de Tungning situé sur une île aujourd’hui connue sous le nom de Taïwan.
Il n’y a évidemment pas que la Chine qui investit dans l’armement. Le Vietnam et Taïwan investissent dans le secteur militaire. Taïwan a déclaré il y a quelques semaines vouloir déployer des “navires-lance-missiles” en mer de Chine du Sud et des “chars” sur les îles Spratleys.
En juin dernier, les Philippines protestaient contre un projet d’installation de plateforme pétrolière près d’un îlot des îles Spratleys et une agressivité accrue des bateaux chinois.
L’impossibilité d’une coopération multilatérale
Certes la Chine veut faire des efforts et négocier avec ses voisins, mais elle n’accepte que les négociations bilatérales. Les Etats-Unis ont voulu faire la médiation lorsque le Vietnam a demandé une aide internationale. La Chine a immédiatement montré son désaccord.
Des enjeux régionaux devenus internationaux
Il n’a cependant pas été utile d’attendre la demande du Vietnam pour voir arriver les Américains dans ce conflit.
Bien que le président Bush fils avait oublié la Mer de Chine Méridionale pour l’Irak, l’Afghanistan et le Moyen-Orient, les Etats-Unis sont désormais bel et bien de retour dans les affaires chinoises (ou au moins essayent de l’être).
Les Etats-Unis ont maintenant pour stratégie de créer des liens forts avec le Vietnam. Les deux pays ont en effet organisé des exercices navals en août 2011. Pourquoi choisir le Vietnam comme allié ? Parce que c’est le pays de la région le plus inquiet de la montée du pouvoir de la Chine. Une alliance Américano-vietnamienne pourrait être un contrepoids important face à la Chine. Les Etats-Unis ont donc maintenant pour stratégie d’avancer leurs pions en Asie afin de contrecarrer la puissance chinoise.
Le danger est que cela pourrait créer une alliance forte des pays concernés par ce conflit contre la Chine et réduire à néant les efforts de collaboration entrepris jusque là comme par la création de l’ASEAN (association des nations de l’Asie du Sud-Est). De plus, cela ne ferait qu’ajouter un autre conflit aux relations sino-américaines déjà chargées de tensions.
On peut en effet penser à plusieurs conflits opposants la Chine et les Etats-Unis à l’heure actuelle comme les problèmes liés au taux de change du Yuan, les problèmes d’échanges commerciaux, les conflits liés à la propriété intellectuelle, la question du Tibet, de Taïwan et des Droits de l’Homme.
D’autres pays, comme les pays Européens aimeraient avoir leur mot à dire dans ce conflit. L’Europe aimerait pouvoir exercer une pression sur le pouvoir chinois et faciliter le transit des marchandises en provenance de Taiwan, du Japon ou de la Corée vers le vieux continent. La Russie a aussi pris part au conflit en fournissant le géant chinois en armes, avions, porte-avions… L’Inde voit également dans l’internationalisation de ce conflit l’occasion de renforcer son opposition face à la Chine. Finalement, le Japon a ses intérêts à défendre également puisqu’il est en conflit avec la Chine depuis un grand nombre d’années pour des raisons de possession d’îles situées elles près du Japon.
Conclusion
En ce début de XXIe siècle, les relations commerciales, économiques et politiques sino-américaines se sont tissées de sorte que la Chine pourrait être le leader de l’opposition au système américain. Sa montée en puissance est aujourd’hui incontestable et elle représente une menace voire une crainte pour beaucoup de pays, qu’ils soient ses voisins ou des pays situés sur d’autres continents.
Il est intéressant de comprendre comment un conflit si régional, puisqu’il s’agit de connaître la nationalité d’îles, peut avoir des enjeux internationaux.
Le futur reste assez imprévisible
Dans son Livre Blanc sur la défense, rendu public fin mars 2011, la Chine faisait la promesse de travailler à rétablir la confiance avec ses voisins, après avoir vécu une année 2010 tendue en mer de Chine. Le résultat est peu probant. Ces bonnes intentions se heurtent à une volonté ferme, celle de signifier que, pour Pékin, la mer de Chine est bien “mare nostrum”.
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