L’origine de la « juste guerre »
La conception de la « juste guerre » est née au fil du temps pour faire face aux pouvoirs destructifs de la guerre. Cette conception repose sur le fait qu’une guerre peut être qualifiée de « juste » à condition qu’elle remplisse certains critères : tout d’abord, la guerre doit être défensive, aucune autre alternative n’est alors possible. Ensuite, elle doit être proportionnelle, on répond proportionnellement à l’agression (proportionnalité des moyens). Enfin, il faut qu’il y ait plus d’avantages que de coûts (pour l’État qui utilise la force, celui qui est agressé et pour la communauté internationale).
La question que l’on se pose est alors de savoir quelles sont les origines de la juste guerre et sur quels fondements est né le concept ?
Pour cela nous allons retracer l’origine et l’évolution de la théorie de la juste guerre à travers différentes parties.
I- Les origines :
La juste guerre existe depuis toujours
La guerre existe-t-elle depuis toujours ? Pour cela il convient de définir ce qu’est la guerre : la guerre est «une situation conflictuelle entre deux ou plusieurs pays, peuples…avec ou sans lutte armée». C’est donc la façon de faire la guerre qui a considérablement évolué avec l’apparition de systèmes étatiques et l’amplification des armements. En effet, les hommes s’affrontent depuis toujours et la guerre a toujours existé, mais ne se manifestait pas de la même manière. Déjà au temps préhistorique, les premiers hommes se battaient puisque l’homme était « un tueur pour les autres hommes », l’homme n’a pas d’autre choix que de se battre pour survivre. Compte tenu de la définition donnée en introduction, on peut penser que la juste guerre était déjà présente lors des premières guerres entre les hommes. En effet, les hommes se battaient pour défendre leurs territoires et répondre aux clans qui les attaquaient. Ce qui traduit un geste d’autodéfense de l’homme pour protéger les siens et sa tribu, la guerre est donc défensive et la cause est juste.
Antiquité
C’est en Chine, lors du VIème siècle, que morale et valeurs peuvent prendre une place significative dans la guerre. Il devient alors acceptable, si l’on fait preuve de légitimité, de tuer des hommes si c’est un moyen d’en sauver davantage, de faire de même pour que la guerre s’arrête ou enfin d’attaquer un État dirigé par un tyran, dans l’unique but de sauver sa population.
Toutefois, c’est en Europe occidentale et plus précisément dans la pensée chrétienne que la notion de guerre juste connait son plus grand développement.
Cicéron, philosophe romain et inspiré par l’école stoïcienne, va alors exercer son influence pour mettre en avant la justesse de la guerre : la guerre ne peut être juste que si elle vise à instaurer une juste paix, la cause doit être juste, la guerre doit être déclarée en bonne et due forme et dans le respect du droit. Enfin, elle doit être conduite dignement et sans violence excessive.
Le début du christianisme
La notion de guerre juste est souvent associée à la pensée chrétienne. L’idée chrétienne a été initiée par de nombreux penseurs, le plus important reste Saint-Augustin d’Hippone. Saint-Augustin est un philosophe et théologien chrétien du IVème siècle. C’est à travers ses textes que va apparaître une forte limitation au recours à la guerre. La guerre est alors permise, mais strictement limitée. Pour lui, la paix est l’objectif majeur et la seule finalité de la guerre : « La paix étant un acte de vertu, et la guerre étant contraire à la paix, donc contraire à la vertu, elle est forcément un péché ».
Au XIIIème siècle, Thomas d’Aquin, philosophe va faire évoluer le concept. Il va alors intégrer ce dernier à sa réflexion et formaliser les fondements de Saint-Augustin. Il va alors assouplir le principe du péché de la guerre de Saint-Augustin. De cela, va ressortir trois conditions d’une juste guerre :
– L’autorité : C’est au prince d’engager la guerre, elle n’est pas du ressort de la personne privée
– La juste cause : « il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute »
– L’intention juste : La guerre ne doit pas être faite à des fins personnelles, mais en vue du bien commun, « On doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal »
II- Sécularisation du concept et évolution du droit international
Guerre de 30 ans
Le XVIIème siècle va marquer un tournant important dans la notion de la juste guerre avec la laïcisation du concept élaboré par les théologiens chrétiens. D’autres faits marquants vont provoquer cette laïcisation et poser le problème de la souveraineté et du rôle de l’État. Le principal fait marquant du XVIIème siècle reste la guerre de 30 ans.
En effet, elle va jouer un rôle prépondérant dans le concept de la juste guerre.
Cette guerre représente le premier grand conflit des temps modernes et va enflammer l’Europe centrale au début du 18ème siècle. La guerre débute officiellement en 1618. Elle est prise en étau entre deux paix : celle d’Augsbourg et celle de Westphalie. La paix d’Augsbourg a été signée en 1555. Elle mit fin au conflit entre catholiques et protestants des états allemands. En effet, le conflit est au début un conflit allemand, même s’il se situe en Bohême (pays slave, avec comme provinces la Moravie, la Silésie, la Haute et la Basse Lusace). La paix d’Augsbourg fût un succès de courte durée puisque la paix ne sera assurée que pour une soixantaine d’années. Les tensions religieuses sont toujours présentes et c’est la « défenestration de Prague » qui vadjouer le rôle de détonateur.
C’est après la destruction d’un temple protestant, sur ordre de l’archevêque de Prague, que les tensions se ravivèrent en Bohème. Dans ce royaume, les protestants étaient fortement majoritaires et avaient su bénéficier de ce statut pour obtenir un statut juridique pour la liberté religieuse de la Bohème, avec un document officiel « La lettre de Majesté ». Mécontents, les protestants ripostèrent et reçoivent alors de l’empereur une réponse : « L’Écrit accablant » qui remettait en cause la « lettre de Majesté ». Les protestants s’attaquèrent aux individus accusés d’avoir rédigé cette réponse. Ces derniers furent condamnés à la sentence par défenestration. Les catholiques répondent à cette défenestration et les combats commencèrent.
Cet évènement marque le début de la guerre qui sera ensuite marqué par l’entrée en guerre du Danemark en 1625, celle de la Suède en 1630 puis celle de la France en 1635.
La première tentative de paix a lieu 20 ans plus tard. Mais on se sert de la guerre pour obtenir une nouvelle paix, c’est-à-dire qu’à chaque fois que l’on gagne un peu de terrain on repousse la signature des traités, espérant continuer dans son élan. Les premières négociations débutent en Westphalie, région allemande, et il fallut compter deux ans pour que les différentes parties soient réunies. La paix de Westphalie sera signée le 24 octobre 1648 et mettra fin à la guerre.
Cette guerre fût caractérisée par trois décennies de violences, des scènes d’horreurs quotidiennes et d’une rare atrocité. Si la guerre s’était éternisée pendant 30 longues années, la paix établie en Westphalie devait absolument être durable, et il ne fallait pas revivre l’échec de la paix d’Augsbourg. Lors des négociations, beaucoup d’hommes étaient présents, tous les chefs d’État s’étaient réunis pour poser l’ordre du monde.
La paix s’est étendue sur une période de 4 années et les négociations eurent lieu à Münster et Osnabrück, deux villes allemandes. D’une part, il fallait régler le sort de l’Allemagne et assurer son avenir et d’autre part, redessiner l’Europe et se préserver de nouvelles menaces.
L’objectif était alors de reconstruire l’Europe centrale, d’assurer la pérennité de l’Europe et éviter de revivre une telle guerre, dite « sanglante ».
La paix de Westphalie va alors engendrer une transformation radicale dans les relations internationales en Europe et la naissance du système moderne de l’équilibre des puissances. En effet, les hommes et les mentalités changent, et cela va avoir des répercussions durables sur les relations européennes. Lors de ce traité fût signé le principe d’égalité religieuse. Les parties ayant signé les accords ont donc le devoir d’assurer la paix contre n’importe quel élément perturbateur, et indépendamment des considérations religieuses.
Le nouvel ordre européen : l’ordre Westphalien
Hugo Grotius et Richelieu sont deux personnages du système Westphalien. Ce sont les « cardinaux de la paix ».
Selon Richelieu, alors ministre du roi Louis XIII, la guerre est quelques fois nécessaire. Cependant, elle doit être juste, au sens religieux du terme et doit avoir une cause juste. Il faut donc avant d’entrer en guerre se conformer à la raison, d’agir en humain et non agir sous la colère : « La guerre pour être juste doit être agréée de Dieu ».
C’est suite aux traités de 1648, que le concept de juste guerre, pensée chrétienne se développe et est de plus en plus défini. On dit que la juste guerre se sécularise.
En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le concept de la juste guerre est une longue réflexion qui s’est étalée au fil des années dans la pensée chrétienne (de l’antiquité à la période moderne).
C’est le juriste hollandais Hugo Grotius, fondateur du droit naturel moderne, qui va repenser ce concept. Grotius formule un principe fondamental des relations internationales modernes : la légitimité du chef d’État et des régimes politiques en place. Selon lui, les conventions s’appliquent à tous et la parole donnée doit être respectée. C’est ce principe qui est à la base de la souveraineté des nations. Il n’y donc plus de notion de juste guerre, mais d’intérêt des nations, une nation ne peut pas attaquer une autre nation souveraine.
Grotius se fonde alors sur le rationnel (la raison de l’homme) et non plus sur la religion, c’est ce qui va le différencier des pensées chrétiennes.
La paix tient également un grand rôle dans sa pensée. Il conçoit donc qu’une guerre puisse être conforme au droit, mais elle doit être juste: « la guerre est juste dans la mesure où elle vise un droit, elle aboutira tout naturellement à la paix » (c’est le droit naturel).
Grotius n’est pas seul penseur à ce moment-là, puisque d’autres auteurs tels que Emer de Vattel ou encore De Vitoria vont également porter un regard innovant sur la notion de guerre juste.
Cette étape va donc marquer la fin de la période où la guerre n’a comme finalité que justice et paix. C’est désormais aux états, puissances souveraines, de mener leur politique intérieure et extérieure et c’est lui seul qui déterminera « la justesse et la justice de la cause qu’il a de faire la guerre ».
Richelieu et Grotius ont deux personnalités très différentes. Le premier incarne le principe de la raison d’État et le deuxième l’émergence du droit international. Tous les deux, sous des aspects différents ont désiré la paix, mais aucun ne vécût assez pour en voir la conclusion puisque Richelieu disparût en 1642 et Grotius en 1645. S’ils ne participent pas aux négociations des traités de Westphalie, Richelieu et Grotius n’en seront pas moins présents par l’intermédiaire de leur doctrine.
III- La juste guerre aujourd’hui
Une autre période, caractérisée par certains traités de paix, va marquer l’évolution du concept et limiter le recours à la force et assurer la « sécurité collective ». On peut citer pour exemple la charte de l’ONU, la conférence de La Haye en 1899 et les conventions de Genève en 1949. Le concept est alors défini en trois catégories :
– Le « Jus ad Bellum » : signifie le droit de faire la guerre. On cherche à limiter le recours à la force entre les états.
– Le « Jus in Bello » : signifie le droit dans la guerre. Il concerne la justice du comportement dans la guerre : proportionnalité des moyens, épargner les non-combattants, nécessité militaire, respect des prisonniers.
– Le « Jus post Bellum » : signifie le droit après la guerre. Il prévoit des accords de paix équitables, la compensation, la réhabilitation et des peines justes et licites.
Mais ce n’est avec l’ONU que le recours à la force va être interdit. Ainsi tous les procédés utilisant la force pour parvenir à leurs fins sont prohibés. L’ONU est nécessaire pour éviter les conflits, mais elle est en crise, car elle peine à obtenir une légitimité du conseil de sécurité et apparaît encore plus vulnérable depuis les années 1990.
En effet, dans les années 1990, la notion de juste guerre va être remise au goût du jour avec la première guerre du Golfe, puis la seconde en 2003 caractérisée par l’intervention américaine en Irak. Se pose alors la question de la « bonne intention » qui justifie la guerre et la proportionnalité des moyens.
Selon la Charte de l’ONU : « Une guerre n’est autorisée que pour se défendre ou si elle validée par le Conseil de Sécurité des Nations unies ».
Or la France, la Russie et la Chine, qui font partie des cinq « permanents » de l’ONU, menacent d’utiliser leur droit de veto pour empêcher une approbation de l’ONU. L’ONU qui se présente comme un élément incontournable de la politique internationale est alors vulgairement écarté par les dirigeants politiques américains. Le 20 mars 2003, les États-Unis envahissent l’Irak sans l’accord de l’ONU.
Cela montre les limites de la juste guerre. Dans cet exemple, les États-Unis ont exploité la faiblesse de l’ONU et les critères de la juste guerre n’ont pas été respectés (« le changement de régime » a été déclaré but de la guerre avant même que la cause de la guerre soit claire). De plus, si la cause de la guerre est juste, la manière de la faire n’est pas la même.
Pour conclure, on affirme généralement que la notion de juste guerre est d’origine chrétienne et qu’elle remonte à Saint-Augustin. Cependant, elle a toujours existée et n’était pas inconnue de l’Antiquité. Le XVIIème siècle a marqué un tournant, notamment avec la guerre de 30 ans qui a joué un rôle prépondérant dans l’évolution du concept de la juste guerre. Cette évolution se manifeste en partie avec la prépondérance de la religion à l’époque dans le concept. C’est suite au traité de 1648 que la juste guerre se sécularise. Aujourd’hui l’ONU met en avant l’intérêt des nations et un État ne peut pas attaquer un autre État souverain. Cependant, la juste guerre est compromise avec la question de « l’autorité légitime » de l’ONU. De plus, les guerres modernes deviennent « asymétriques », faisant apparaitre le terrorisme contemporain comme le témoigne l’agression du 11 septembre. On peut alors être amené à se demander si dans certains cas le terrorisme peut être justifié et si le combat armé contre le terrorisme est légitime…
IV- Annexes
Bibliographie
L’Europe des traités de Westphalie
1648, l’origine de l’Etat-nation souverain
L’Europe de 1815 à nos jours
Sitographie
http://www.histoire-fr.com/bourbons_louis13_4.htm
http://www.protestants.org/fileadmin/user_upload/Protestantisme_et_Societe/documentation/frank-bourgeois_ETR2006.pdf
http://www.quebecoislibre.org/030412-16.htm
http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/en_ligne/pentecote03/seneve003.html
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