Depuis le début de « l’affaire criméenne », le Président russe Vladimir Poutine compte ses amis en Occident. En effet, la Russie est de plus en plus isolée suite à sa sortie du G20 et au blocus qu’elle subit, tout cela dans un contexte général de russophobie. Alors que les puissances occidentales œuvrent à réduire le glacis russe en Europe de l’est, Poutine peut néanmoins compter sur un partenaire aussi inattendu que petit, à savoir la Principauté de Monaco. Ainsi, malgré le statut de « pestiféré » de la Russie, les relations ne cessent de se développer, au point que l’année 2015 soit celle de la Russie en Principauté.
- La relation russo-monégasque
La majorité des études contemporaines menées sur la Principauté détaille les liens avec les voisins que sont la France et l’Italie. Georges Grinda mentionne à cet égard la conclusion en 1982 d’une Convention de sécurité sociale concernant les travailleurs italiens à Monaco[1].Toutefois, très peu d’études ont été consacrées aux relations russo-monégasques qui connaissent une croissance significative depuis quelques années.
Les relations avec la Russie remontent à la moitié du XIXème siècle, date à laquelle l’aristocratie russe commence à s’intéresser à la Côte d’Azur. Cet intérêt s’explique d’une part de l’intérêt touristique de la zone, mais aussi du fait de l’attitude complaisante du Duc de Savoie envers l’Empire russe (ce dernier leur fournit un port de ravitaillement en Méditerranée). Une « petite Russie » se développe entre Nice et Menton, surtout avec la cession du Comté de Nice à la France car cette dernière jouit d’une bonne réputation en Russie. Les révolutions russes et la création de l’URSS viendront étoffer ces communautés russes du littoral méditerranéen. La Principauté va être également concernée par cette influence russe sur la région comme le montrent les célèbres ballets russes de Monte-Carlo fondés par Serge de Diaghilev[2]. Malgré cette petite diaspora, les relations avec la Russie vont devenir négligeables pendant la Guerre froide du fait des différences profondes opposant la Principauté à la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Les deux Etats étaient profondément antinomiques puisque, d’un côté Monaco appartenait à l’Ouest capitaliste et restait une monarchie ; et de l’autre côté la Russie était socialiste, soviétique, et la puissance dominante à l’Est. Cependant, la participation de Monaco à la Conférence d’Helsinki en 1973 montre que l’URSS avait reconnu la Principauté. Les deux Etats vont à partir de cette date, avoir une préoccupation commune, à savoir les droits de l’Homme (en réalité cette question de droits de l’Homme ne deviendra un réel objectif qu’avec Gorbatchev). La relation actuelle entre les deux Etats n’est cependant pas basée sur les droits de l’Homme mais plutôt sur des liens inter sociétaux, développant à terme des liens politiques.
- Les échanges entre Monaco et la Russie
La coopération politique avec la Russie ne saurait être dissociée de l’augmentation d’échanges économiques et culturels. François Fillon dans un entretien donné au périodique L’Express exposait en quoi une collaboration avec la Russie était souhaitable pour la France, à condition de savoir composer avec la personnalité de Vladimir Poutine[3]. Le Prince Albert II a visiblement mis en application ces recommandations, notamment dans le domaine économique. Les échanges commerciaux et financiers entre les deux Etats sont devenus aujourd’hui suffisamment significatifs, au point de mobiliser la Chambre de Développement Economique monégasque. A l’occasion de son déplacement à Moscou en octobre 2013, le Prince a ainsi veillé à la conclusion d’accords « fructueux »[4] puisque la délégation monégasque comprenait quatre-vingt acteurs économiques représentant l’intégralité du panorama économique de la Principauté. Le Président russe a justifié le choix d’une telle coopération par le fait que : « Monaco n’est pas un grand pays, mais c’est un important centre commercial et financier »[5] et que son économie générait « un chiffre d’affaires de 60 milliards de dollars »[6].
La bonne santé de l’économie monégasque s’est traduite dans un premier temps par des investissements et un tourisme, puis une immigration temporaire en provenance de l’oligarchie russe. Par la suite, cette forme d’immigration est devenue plus importante et permanente : le nombre de Russes en Principauté a été multiplié par six grâce à des formalités d’immigration simplifiées[7]. Ce processus traduit la volonté de Monaco d’accueillir les capitaux russes, capitaux indispensables en temps de crise et dans le contexte actuel de transparence des finances imposé par l’Europe. Pour le moment, ces investissements sont profitables au commerce de luxe et au secteur de l’immobilier mais il est probable que cette situation finisse par être génératrice de tensions (le marché monégasque est faussé par l’arrivée de ces nombreux milliardaires). En outre, la facilité d’entrer sur le territoire monégasque faite aux Russes favorise le tourisme de luxe en provenance de cet Etat.
Face à cette affluence de ressortissants russes, la Principauté et la Russie ont d’un commun accord œuvré pour la mise en place d’échanges culturels. L’année 2015 sera ainsi l’année de la Russie en Principauté (l’évènement est avant tout culturel mais reflète l’influence croissante de la Russie sur Monaco). De plus, le Consulat Honoraire de la Fédération de Russie en Principauté de Monaco a fondé en 2009 le Centre culturel russe. Ce dernier est chargé de favoriser l’intégration des résidents russes et de diffuser la culture russe via sa bibliothèque, son Club et son Ecole pour « consolider […] la grande présence actuelle des Russes en Principauté »[8]. Enfin, la présence culturelle russe est affirmée par l’émergence de médias en langue russe à Monaco et sur toute la Riviera en général. Si les échanges culturels semblent avoir un caractère unilatéral (Russie vers Monaco), la coopération se fait tout de même dans les deux sens, notamment en matière scientifique, par exemple dans le cadre des accords relatifs à la CIESM. La Russie exerce donc une influence certaine en Principauté, influence qui devrait continuer de gagner en importance au vu des investissements russes.
- De la coopération politique
L’établissement de relations diplomatiques a eu d’abord pour motivation l’intérêt des oligarques russes pour Monaco, intérêt aussi bien fiscal que touristique. La Russie a toutefois rapidement mesuré l’intérêt d’une collaboration avec la Principauté car cette dernière constitue un point d’entrée dans l’Union Européenne et reste plus « complaisante » que l’Allemagne par exemple (premier partenaire européen pour la Russie). La relation diplomatique entre les deux Etats a vu les Consulats respectifs être élevés au rang d’Ambassades. De plus, les deux chefs d’Etat se sont rencontrés à plusieurs reprises à Moscou et Vladimir Poutine a prévu un voyage officiel en Principauté (chose rare, en général ce type de traitement est réservé au Président de la République française). Par ailleurs, le Prince Albert II s’est également rendu à Sotchi dans le cadre de ses responsabilités de membre du Comité International Olympique, puis en qualité de chef d’Etat. Un tel soutien affiché à ces Jeux Olympiques controversés pourrait s’expliquer par la volonté du Prince d’établir une relation forte avec la Russie. Si cette possibilité n’est pas à écarter, S.A.S. le Prince Albert II est revenu de ces voyages en Russie avec l’adhésion russe à la CIESM (dont il est Président). Il s’agit là d’une victoire diplomatique de la Principauté puisque le Prince a obtenu un engagement environnemental de la part d’une grande puissance, mais également, une reconnaissance de la politique étrangère monégasque dans ce domaine de l’environnement. Cela dit, ce succès diplomatique reste relatif au vu de l’importance de la CIESM au sein du système international. De plus, les rapports avec la Russie sont relativement opaques comme le montre l’étonnant silence des autorités monégasques suite au déploiement de forces russes en Ukraine à l’occasion de la crise de Crimée. Le risque d’un alignement reste pour l’heure impensable au vu des liens franco-monégasques. De plus, la Principauté reste intégrée au « groupe occidental » comme le montre sa participation à la prise de sanctions contre la Russie au sein du Conseil de l’Europe (Monaco n’a pas participé au vote mais sa posture officielle était la recherche du dialogue et du compromis). Ce constat est également valable au sein de l’O.N.U. puisque Monaco a voté en faveur d’une résolution réitérant les principes d’intégrité territoriale de tout Etat et de dialogue politique[9].
La Principauté joue donc un jeu de l’entre deux, à savoir ne pas froisser la France et ses alliés en se rapprochant trop de la Russie. Toutefois, l’approfondissement de l’amitié russo-monégasque demeure une priorité –si embarrassante soit-elle- au vu des opportunités liées à cet acteur mondial majeur. C’est pourquoi l’administration monégasque se cantonne actuellement à un discours officiel de rapprochement culturel en évitant d’aborder les sujets épineux. Du côté du Kremlin, cultiver cette relation privilégiée avec un Etat d’Europe occidentale demeure important à l’heure où l’embargo pousse Vladimir Poutine à compter ses amis.
[1]GRINDA Georges, La Principauté de Monaco, A. Pédone, Paris, 2005, p. 25.
[2]RADOMAN Milena, « Bienvenue à Monakov », Monaco Hebdo, article du 2 septembre 2013.
[3]SPORTOUCH Benjamin, « François Fillon et son ami Poutine », L’Express, 29 janvier 2014, consulté le 9 mai 2014.
[4]RADOMAN Milena, « Albert II rencontre Poutine”, Monaco Hebdo, 13 octobre 2013, consulté le 7 mai 2014.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7]RADOMAN Milena, « Bienvenue à Monakov », Monaco Hebdo, article du 2 septembre 2013.
[8] Présentation du Centre culturel russe par le Professeur Claude PALLANCA, Consul Général Honoraire e Russie à Monaco et Président dudit Centre, http://www.centre-culturel-russe-monaco.com/, consulté le 9 mai 2014.
[9]Résolution adoptée à l’Assemblée Générale des Nations Unies le 27 mars 2014 relative à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N13/455/18/PDF/N1345518.pdf?OpenElement, consulté le 9 mai 2014.
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